L’humanité est à la croisée des chemins : nous faisons face à la fois aux opportunités offertes par un ensemble de technologies puissantes et naissantes qui transformeront radicalement notre façon de vivre, et aussi aux défis qu’elles posent. Le rythme accéléré auquel les technologies, comme l’intelligence artificielle (IA), la biotechnologie, la robotique, l’automatisation, les nouveaux matériaux et l’informatique quantique, sont développés transforme déjà les systèmes que nous tenons aujourd’hui pour acquis. Qu’il s’agisse de nos modes de production, du transport des marchandises, des services ou de la manière dont nous communiquons, collaborons ou même élisons nos gouvernements, les changements technologiques rapides – qui surviennent à un rythme exponentiel – modifient la façon dont nous expérimentons le monde dans lequel nous vivons.
Heureusement, cette période d’évolution technologique en est à ses débuts et est encore contrôlée. Étant à la croisée des chemins, nous portons une lourde responsabilité, car les nouvelles technologies peuvent augmenter les inégalités entre les pays et au sein de ceux-ci, remplacer une main-d’œuvre devenue inutilisable, affecter les groupes vulnérables, encourager la concentration des connaissances essentielles et de la richesse et soulever des questions éthiques importantes. Toutefois, ces technologies peuvent aussi être utilisées d’une manière positive pour accélérer la réalisation des 17 objectifs de développement durable (ODD) et leurs 169 cibles.
Selon la Banque mondiale, le risque d’automatisation des emplois est plus élevé dans les pays en développement que dans les pays développés. D’un point de vue purement technologique, deux emplois sur trois risquent d’être menacés par l’automatisation dans les pays en développement au cours des décennies à venir. Toutefois, dans ces pays, les effets de ce processus pourraient être modérés par des salaires moins élevés et l’adoption plus lente des technologies1. À partir d’une mesure ajustée fondée sur des possibilités technologiques, la part des emplois exposés au risque d’automatisation va de 55 % en Ouzbékistan à 85 % en Éthiopie2, alors que dans l’ensemble de la zone OCDE la moyenne est estimée à 57 %.
Par ailleurs, l’utilisation des réseaux de distribution d’électricité intelligents, les mégadonnées et l’Internet des objets peuvent permettre de réduire la consommation d’électricité, de faire coïncider la demande et l’offre d’énergie ainsi que d’assurer et d’améliorer la gestion de la distribution de l'énergie tout en renforçant le rôle des sources renouvelables en permettant aux ménages équipés de panneaux solaires ou d’éoliennes de renvoyer l’énergie excédentaire vers le réseau. Le coût des cellules solaires utilisées dans les panneaux solaires et les éoliennes a diminué de plus de 100 % depuis 40 ans, passant de 76,67 dollars le watt en 1977 à 0,029 le kilowatt-heure (kWh) en 2017. L’énergie solaire est aujourd’hui la technologie la moins chère dans de nombreuses parties du monde3.
Les institutions nationales et internationales étant mises au défi de suivre le rythme et de faire face aux conséquences économiques et sociales des nouvelles technologies, il est de plus en plus nécessaire que cette question soit débattue. Les Nations Unies, reconnues pour leur rôle consultatif et normatif impartial, offrent une plate-forme unique pour définir des orientations importantes à ce sujet. Pour réaliser le Programme 2030 et assurer que personne n’est laissé de côté, les États Membres, avec le secteur privé, le milieu universitaire, la société civile et d’autres parties prenantes, doivent mettre en place des cadres internationaux qui permettent de promouvoir et de veiller à ce que les avantages de cette révolution soient équitablement partagés.
LA RÉSOLUTION 72/242 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE SUR L’ÉVOLUTION RAPIDE DE LA TECHNIQUE ET LE TROISIÈME FORUM STI
En 2017, à la lumière des transformations mentionnées ci-dessus, le Mexique a organisé et lancé le groupe central sur l’évolution exponentielle des technologies qui, en décembre 2018, comprenait 34 pays issus de différentes régions. L’objectif consistait à réunir un groupe d’États Membres intéressés par ce sujet et de l’introduire aux Nations Unies en y associant des acteurs pertinents, comme le secteur privé et le milieu universitaire. Après des délibérations internes, le Mexique a présenté en octobre 2007 une résolution intitulée « L’incidence de l’évolution rapide de la technique sur la réalisation des objectifs de développement durable » qui a été adoptée par l’Assemblée générale en décembre 2017 en tant que résolution 72/242.
La résolution reconnaissait les incidences de l’évolution rapide de la technique et soulignait la nécessité d’adopter une approche multipartite afin de permettre aux États de tirer profit des avantages présentés par cette évolution et de relever les défis qui en découlent. Les domaines dans lesquels la science, la technologie et l’innovation jouent un rôle ont été répertoriés, notamment la sécurité alimentaire et la nutrition, l’agriculture, l’efficacité énergétique, la santé, l’éducation, la productivité et la compétitivité. La résolution reconnaît également que le fossé numérique se creuse entre les pays développés et les pays en développement ainsi qu’entre les sexes.
S’appuyant sur les structures actuelles des Nations Unies, la résolution sert de base à une réflexion collective qui pourrait nous aider à comprendre l’évolution rapide de la technique. C’est dans ce but que des mandats spéciaux ont été confiés au Mécanisme de facilitation des technologies (MFT), créé par le Programme 2030, ainsi qu’à la Commission de la science et de la technologie au service du développement (CSTD), un organisme subsidiaire du Conseil économique et social (ECOSOC) basé à Genève.
Le Mécanisme est composé du Groupe de travail inter-institutions des Nations Unies sur la science, la technologie et l’innovation pour la réalisation des objectifs de développement durable (IATT) qui comprend dix représentants de la société civile, du secteur privé et du milieu scientifique; le Forum multipartite sur la science, la technologie et l’innovation pour la réalisation des objectifs de développement durable (Forum STI); et une plate-forme en ligne qui facilite l’accès aux informations, aux connaissances et aux données d’expérience, encourage les meilleures pratiques et l’échange des enseignements tirés et facilite les initiatives et les politiques en matière de science, de technologie et de l’innovation.
Dans cette résolution, il était demandé au MFT et à la CSTD de prendre en compte l’incidence de l’évolution rapide de la technique sur la réalisation des ODD et au IATT de présenter ses conclusions à ce sujet lors d’une séance extraordinaire du Forum STI en 2018. Cela permettait aussi de garder ce sujet à l’ordre du jour de l’Assemblée générale, établissant ainsi les bases du débat.
Le Mexique et le Japon ont été nommés par le Président de l’ECOSOC pour co-présider le troisième Forum STI. Cela représentait une reconnaissance du rôle majeur du Mexique pour inscrire cette question à l’ordre du jour de l’Assemblée générale en 2017. Le Forum STI, qui s’est tenu les 5 et 6 juin 2018, a examiné pour la première fois l’incidence de l’évolution rapide de la technique sur la réalisation des ODD dans le cadre du suivi accordé au mandat donné par la résolution de 2017 promue par le Mexique.
Pendant le Forum, les conclusions préliminaires du Mécanisme ont été présentées indiquant que les pays devaient agir de manière proactive pour atteindre les objectifs et les cibles du Programme 2030. Les Nations Unies devraient évaluer et aider les pays à identifier les bonnes pratiques et les réponses de politiques publiques liées aux ODD ainsi qu’à faciliter leur mise en œuvre afin d’atténuer les effets négatifs possibles et exploiter le potentiel de l’évolution rapide de la technique.
Clôturant le cycle de quatre ans du Forum politique de haut niveau sur le développement durable, le quatrième Forum STI, qui aura lieu en 2019, examinera l’incidence de l’évolution de la technique sur la réalisation des ODD en tenant compte des dernières conclusions présentées par le Mécanisme.
LE DÉBAT DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ET LA RÉSOLUTION 73/17 DE 2018
Le 18 octobre 2018, le Président de l’Assemblée générale a organisé une séance pour discuter de l’évolution rapide de la technique afin de dresser un bilan des développements et des progrès réalisés au cours de l’année. Le Mexique a fait valoir que ce débat pourrait être le plus important de notre époque, car il touche tous les aspects de la vie dans le monde. Les vingt pays participants ont estimé qu’une plus grande coopération était essentielle pour tirer parti des avancées technologiques pour le bien de l’humanité et pour comprendre l’incidence de ces avancées sur la mise en œuvre des ODD.
La réunion a été aussi une occasion pour les organisations des Nations Unies de faire connaître le travail qu’elles ont déjà accompli. En tant que boussole normative, la Stratégie du Secrétaire général en matière de nouvelles technologies a défini les principes et les engagements qui guideront les efforts du système des Nations Unies afin de faire concorder ces technologies avec les valeurs inscrites dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi qu’avec les normes et les règles du droit international.
Après une année de recherche concernant l’évolution de la technique, le Mexique a co-présenté une autre résolution, la résolution 73/17, qui a été adoptée par l’Assemblée générale le 26 novembre 2018. Le principal objectif est de reconnaître l’évolution de la technique et de promouvoir les tribunes intergouvernementales pour poursuivre le débat. Elle intègre aussi le Programme 2030 dans le processus en incluant comme base à l’analyse ses cibles et pas seulement ses objectifs. Elle fait aussi spécifiquement référence à l’intelligence artificielle, qui est l’une des technologies clés qui transforme notre vie et nos sociétés.
La résolution reflète les développements les plus importants ayant eu lieu en 2018 concernant l’évolution de la technologie. Par exemple, elle reconnaît les conclusions présentées par le Mécanisme et la CSTD; tient compte du rôle que les nouvelles technologies peuvent jouer dans la réalisation des ODD, comme indiqué dans la Déclaration ministérielle du Forum politique de haut niveau pour le développement durable; et mentionne le travail du Groupe de haut niveau sur la coopération numérique établi par le Secrétaire général ainsi que l’entrée en activité en Turquie de la Banque des technologies pour les pays les moins avancés. Elle prévoit aussi que le débat de haut niveau de l’ECOSOC portera sur les futures tendances et les futurs scénarios, comme la contribution des nouvelles technologies à la réalisation du Programme 2030, et souligne la nécessité d’une approche multipartite.
Elle demande aussi au Mécanisme et à la CSTD de présenter leurs dernières conclusions concernant l’évolution rapide de la technique. Elle réitère le mandat du Forum STI et invite les États Membres à inscrire la science et la technologie comme thème transversal lors du prochain cycle d’examen du Forum politique de haut niveau pour le développement durable. Elle invite le Forum STI et la CSTD à coordonner leurs travaux et suggère au Secrétaire général d’intégrer la dimension de ces nouvelles technologies dans les activités du Secrétariat. L’aspect le plus important de cette résolution est probablement le fait d’avoir invité le Président de l’Assemblée générale à organiser un débat thématique de haut niveau sur l’évolution rapide de la technique lors de la soixante-quatorzième session de l’Assemblée générale et également d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de la soixante-quinzième session. Avec cette dernière décision, les États Membres ont accepté que l’évolution rapide de la technique continue d’être examinée par l’Assemblée générale.
CONCLUSION
Il ne fait aucun doute que la technologie continuera d’évoluer. Dans ce contexte, le Mexique a encouragé plusieurs initiatives pour que cette question soit une priorité dans l’ordre du jour des Nations Unies. En 2017, nous avons présenté la résolution innovante de l’Assemblée générale sur « l’incidence de l’évolution rapide de la technique sur la réalisation des objectifs de développement durable ». En 2018, le Mexique a co-présidé avec le Japon le troisième Forum STI et présenté une deuxième résolution sur le sujet, qui a offert une nouvelle manière de traiter l’évolution rapide de la technologie au sein du système des Nations Unies de façon coordonnée et prospective.
Si ces efforts ont permis de sensibiliser davantage la communauté internationale, il reste encore beaucoup à faire. Il n’en reste pas moins que les enseignements tirés indiquent que par le biais de la coopération multilatérale, nous pouvons minimiser les défis et développer les immenses possibilités offertes par l’évolution rapide de la technique. Suivre le rythme d’un monde en évolution est le seul moyen pour les institutions de rester pertinentes. C’est pourquoi le Mexique a insisté pour inscrire à l’ordre du jour des Nations Unies la question de la pertinence. Certains diraient même que c’était audacieux, car faire bouger les choses à l’ONU n’est pas facile. Si nous avons passé beaucoup de temps à nous tenir mieux informés sur la science, la technologie et l’innovation, nous sommes convaincus que cela en valait la peine.